« Un Voyage en Exil » à travers les yeux de Jean Gardy Joseph, SJ.
04 octobre 2024|Joanna Kozakiewicz
Quelques membres du SJR Canada se sont déplacés à Québec au mois de septembre afin de collaborer avec Motivaction Jeunesse, un groupe sans but lucratif, qui vise à « favoriser l’intégration et la persévérance scolaire des jeunes par des expériences significatives » tel qu’indique leur page Facebook.
Parmi notre équipe, un nouveau membre a eu l’occasion d’assister à notre séance d’ «Un Voyage en Exil ». Il s’agit de Jean Gardy Joseph, qui est originaire d’Haïti et qui a grandi et effectué ses études classiques dans son pays natal. Après avoir achevé son cursus classique, il a intégré le noviciat des Jésuites en Haïti. En tant que Jésuite haïtien, il a poursuivi des études en philosophie et en humanités à l’Instituto Superior Pedro Francisco Bonó en République Dominicaine. Il est titulaire d’une licence en philosophie de l’Université Grégorienne. Actuellement, Jean Gardy Joseph poursuit sa formation en tant que régent jésuite à Montréal. Dans le cadre de ses engagements, il collabore avec le Service Jésuite des Réfugiés (SJR) en tant qu’intervenant communautaire.
Dans cette entrevue, Jean Gardy nous partage ses impressions de notre séance d’«Un Voyage en Exil ».
Jean Gardy, comment as-tu vécu ta première séance d’ « Un Voyage en Exil » ?
Ma première séance d’« Un Voyage en Exil » a été une expérience exceptionnelle qui a transformé ma perception de la vie des réfugiés. Cet exercice m’a offert une compréhension plus profonde de la complexité et de l’incertitude qui caractérisent leur destin. Plongé dans la réalité du déracinement, j’ai ressenti la douleur, la souffrance et la précarité de ceux qui fuient la guerre, les persécutions ou des conditions de vie intolérables. Cette immersion m’a fait réaliser l’ampleur des sacrifices imposés à ces personnes, dont le destin est marqué par l’incertitude et le danger.
Peux-tu nous décrire comment se passe une séance d’« Un Voyage en Exil » en présentiel ?
La séance d’« Un Voyage en Exil » en présentiel propose une immersion intense dans la réalité des réfugiés, suscitant des réflexions profondes sur leur parcours. Dès le début, les participants sont directement impliqués, avec quatorze activités destinées à éveiller des émotions telles que la vulnérabilité, la compassion et la solidarité.
La séance commence symboliquement par le retrait des chaussures, favorisant l’empathie avec ceux qui fuient leur pays. Ensuite, des témoignages et vidéos poignants illustrent les difficultés rencontrées. Les participants doivent ensuite prendre des décisions cruciales concernant ce qu’il est possible d’emporter en exil et envisager les risques économiques et physiques liés à la fuite.
Les choix des réfugiés sont également influencés par leur localisation géographique, certains choisissant de rester dans des camps, d’autres de traverser clandestinement, à pied ou en bateau. Enfin, la séance met en lumière que, même une fois arrivés dans un pays d’accueil, leur avenir dépend de l’acceptation de la société hôte.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué?
Ce qui m’a le plus marqué au cours de cette expérience, c’est la révélation de mes propres lacunes en matière de compréhension de la vie des réfugiés. Bien que j’aie consacré de nombreuses heures à la lecture d’articles et au visionnage de documentaires sur leur condition, la séance du « Voyage en Exil » m’a fait réaliser à quel point ma perception était incomplète. Ce moment a été un véritable choc, une prise de conscience qui m’a dit : « Non, tu ne sais rien encore. » Ce fut pour moi l’occasion d’apprendre de manière inédite.
Les réactions des autres participants à cette immersion témoignaient également de cette prise de conscience collective. Beaucoup ont exprimé leur surprise, avouant n’avoir jamais imaginé l’ampleur de la souffrance des réfugiés. Ils ont même suggéré que cette simulation soit intégrée aux programmes éducatifs, afin que les enseignants et les étudiants, en particulier ceux qui côtoient des réfugiés, puissent également faire l’expérience de cette réalité souvent ignorée. Une telle initiative permettrait de créer un environnement d’accueil plus empathique et respectueux, fondé sur une meilleure compréhension des défis auxquels ces personnes sont confrontées.
As-tu été vraiment capable de te mettre à la place du réfugié dans cet exercice?
Absolument. Même pour celui qui aborde cet exercice pour la première fois sans en connaître les détails, le dynamisme de la séance le place inévitablement dans la situation du réfugié. En effet, tout au long de l’exercice, tu incarnes le rôle du réfugié : c’est toi qui prends les décisions difficiles auxquelles ils sont confrontés, toi qui dois faire des choix décisifs pour ta survie. Cette expérience profondément immersive m’a permis de véritablement me mettre à la place de ces personnes en exil, en partageant symboliquement leur chemin et leur situation.
Ainsi, j’ai ressenti, à travers cette simulation transformatrice, la souffrance, la désolation, la solitude, la pression psychologique, la honte, le rejet, la discrimination, la douleur, la faim et la misère que tant de réfugiés endurent. Cette expérience ne fut pas seulement intellectuelle, mais avant tout émotionnelle, me touchant au plus profond de mon être. Cela a été, pour moi, une véritable expérience du cœur et des tripes, une plongée dans la réalité déchirante de ces âmes déracinées. Ce qui m’a donné espérance et espoir, c’est que, malgré toutes les épreuves qu’il traverse, la vie du réfugié ne se termine pas avec cette situation difficile. Une autre vie l’attend dans le pays qu’il désire rejoindre, tout comme nous l’avons vécu à la fin de cet exercice.
Notre équipe en route vers Québec pour une séance d’ « Un Voyage en Exil ». De gauche à droite : Norbert Piché, directeur national, Jean-Gardy Joseph, intervenant communautaire et Tevfik Karatop, chargé de projet chez SJR Canada.
Il y avait-il des décisions difficiles à prendre lors de la simulation qui t’a surpris? Quelles étaient ces décisions?
Oui, bien sûr. Dès la deuxième partie de l’exercice, j’ai été surpris par la difficulté des décisions à prendre. Placé dans la situation d’un réfugié avec seulement deux minutes pour me préparer à l’exil, j’étais contraint de choisir trois objets essentiels parmi une bouteille d’eau, de la nourriture, des documents d’identité, des vêtements, un téléphone, des médicaments, des diplômes, et des photos de famille. Ne pouvant pas tout emporter, et sachant que l’exil est une décision imposée et non planifiée, chaque choix se révélait lourd de conséquences.
Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est de réaliser que la vie des réfugiés repose sur des décisions faites dans l’incertitude totale. Rien n’est assuré, chaque décision peut avoir des conséquences vitales, expliquant pourquoi tant de réfugiés disparaissent ou meurent.
Un moment clé de la simulation fut lorsque j’ai dû choisir entre plusieurs routes pour rejoindre l’Europe : traverser la Bulgarie à pied, prendre un bateau à travers la Méditerranée, emprunter une route terrestre via Istanbul ou retourner dans mon pays. Chaque option comportait des risques extrêmes : la noyade, les patrouilles frontalières, ou un retour dans la terreur. À ce moment-là, je ne savais plus quel choix faire, car chacun semblait mener à une impasse. Cette expérience m’a fait comprendre à quel point les décisions des réfugiés sont souvent impossibles à prendre, et pourtant elles doivent être faites sous la pression de l’urgence.
De quoi as-tu pris conscience lors de cette simulation?
À travers l’exercice du voyage en exil, j’ai pris conscience de l’intensité de la souffrance endurée par ceux qui doivent affronter des dangers physiques et psychologiques considérables. L’incertitude de la traversée vers une terre d’accueil est à la fois périlleuse et incertaine, marquée par la faim, la précarité, et parfois, la mort. Cela m’a fait réfléchir à l’ampleur du sacrifice des milliers de personnes ayant péri en traversant la Méditerranée, le Rio Grande ou d’autres frontières dangereusement sécurisées. En évoquant cette expérience, je pense également aux vies perdues dans des camps de réfugiés, dans des forêts inhospitalières, et aux nombreux récits tragiques de viols et de privations.
Penses-tu qu’« Un Voyage en Exil » est une bonne représentation des situations que vivent les réfugiés?
Je pense qu’« Un Voyage en Exil » offre une représentation très fidèle des situations vécues par les réfugiés. C’est précisément l’impression que j’ai eue tout au long de cette expérience immersive. L’exercice est conçu de manière si réaliste qu’il m’a véritablement placé dans la peau d’un réfugié. Participer à cette simulation, c’est vivre, à travers un prisme symbolique, le parcours d’un réfugié, avec toutes les incertitudes, les choix déchirants et les obstacles insurmontables auxquels ils sont confrontés.
Après la séance, les commentaires des autres participants allaient également dans cette direction. Beaucoup ont ressenti, comme moi, qu’« Un Voyage en Exil » avait radicalement changé leur perception de la condition des réfugiés. Ce programme m’a offert une nouvelle perspective sur la manière de me rapprocher d’eux, avec une compréhension plus profonde et une compassion renouvelée. Il s’agit d’une expérience marquante, qui éclaire la réalité souvent méconnue des réfugiés et permet de mieux saisir les défis auxquels ils font face.
Est-ce que tu as pu faire l’expérience d’empathie envers les réfugiés grâce à la simulation?
Elle fut indéniablement présente tout au long de la simulation. Ressentir cette réalité, même de manière symbolique, a éveillé en moi une émotion profonde, ainsi qu’une empathie accrue envers tous les réfugiés et les personnes contraintes, pour diverses raisons, de quitter leur pays de façon forcée pour se réfugier ailleurs. Certains, n’ayant ni les moyens financiers ni le temps de planifier leur départ, se voient parfois obligés d’emprunter des voies irrégulières dans l’espoir de trouver refuge.
As-tu autre chose à dire sur cette expérience?
Je demeure convaincu qu’offrir un accueil chaleureux et une opportunité d’intégration aux réfugiés, c’est leur permettre de retrouver un enracinement souvent perdu, tout en interrogeant notre propre humanité face à la détresse d’autrui. Cette expérience m’a non seulement sensibilisé à leur réalité, mais elle a également renforcé mon engagement à promouvoir la solidarité et la compassion envers ceux qui ont tant souffert.