Voix de la Frontière : L’Entrevue Inspirante du Père Brian Strassburger, SJ, – Partie 1

01 mai 2025|Joanna Kozakiewicz

Le père Brian Strassburger, SJ, le père Flavio Bravo, SJ, et le père Louie Hotop, SJ, avec des migrants lors d'un baptême à la frontière États-Unis-Mexique/Del Camino ministries

Le père Brian Strassburger, SJ, est un prêtre jésuite qui sert dans le diocèse de Brownsville, au Texas. Il réside près de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où il répond aux besoins pastoraux de la région, avec une attention particulière pour la communauté des migrants des deux côtés de la frontière.

Il est également le directeur de Del Camino Jesuit Border Ministries, un nouveau ministère de la province jésuite centrale et méridionale des États-Unis qui a vu le jour en 2021 après une visite de leur provincial.

Ce dernier a vu les besoins aigus le long de la frontière ; il a donc invité le père Brian Strassburger, SJ, et le père Louie Hotop, SJ, à voir comment ils pourraient répondre aux besoins pastoraux dans la région. L’évêque local, Daniel Flores, leur a donné la charge qui a été l’impulsion de leur mission depuis leur rencontre, lorsqu’il a prononcé les paroles :

« Je veux que vous fassiez ce que je pense que les Jésuites font le mieux. Je veux que vous lisiez la réalité et que vous y répondiez.»

Le père Brian Strassburger, SJ, a accepté une entrevue avec le SJR CANADA pour parler de son ministère. Ceci est la première partie d’une série d’articles qui seront publiés à partir de cet entretien, qui a été édité par souci de concision.

SJR Canada : En tant que prêtre jésuite résidant près de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, quelles sont vos activités quotidiennes lorsque vous accompagnez les communautés de migrants dans cette région ?

Brian Strassburger, SJ : Notre ministère s’exerce dans les camps de migrants et les refuges du côté américain, au Texas, et du côté mexicain, dans l’État de Tamaulipas.

Il s’agit principalement d’un ministère sacramentel et pastoral. Nous visitons les camps de migrants et les refuges, et nous célébrons la messe. Nous apportons notre propre trousse de messe et une table pliante qui devient notre autel. Nous invitons les gens à se rassembler, avec quelques chaises ou bancs. Nous demandons aux gens de se joindre à nous pour la prière et la célébration des sacrements.

Célébrer la messe dans les refuges nous ouvre d’autres possibilités, car nous apprenons à connaître les gens dans les refuges que nous visitons, parce que nous établissons une relation de confiance avec eux en tant que prêtres. Cela ouvre la voie à des conversations pastorales où les gens partagent leur situation, ce qu’ils traversent, les luttes personnelles qu’ils mènent dans leur vie, et d’où ils viennent, ou ce qu’ils fuient peut-être. Ce qui commence par la célébration des sacrements et de la messe établit une relation de confiance qui nous permet de transmettre des informations dans les deux sens.

Une messe est célébrée pour les migrants à la frontière États-Unis-Mexique 
par le père Flavio Bravo, SJ.

À quoi cela ressemble-t-il ? Tout d’abord, nous sommes en mesure d’orienter les migrants sur les politiques frontalières. Nous pouvons expliquer les politiques frontalières et dissiper les rumeurs qui peuvent circuler au sein de la communauté des migrants, souvent partagées par les médias sociaux. Nous pouvons les conseiller contre les fraudes qui pourraient essayer de profiter d’eux. En d’autres termes, nous devenons une source d’information fiable pour les migrants. Ensuite, parce que nous entretenons des relations étroites avec les migrants, que nous les accompagnons sur le plan pastoral, nous devenons une source d’information fiable pour les défenseurs, les organisations de défense des droits de l’homme, les législateurs et les journalistes. Nous partageons avec eux la réalité du terrain que nous rencontrons sur la base de ce que les migrants partagent avec nous.

Le lieu et la fréquence de nos visites sont très flexibles et ouverts. Nous ne gérons pas un refuge pour migrants. Nous vivons dans une communauté en tant que jésuites, mais nous sommes une équipe mobile, et nous allons donc là où se trouvent les migrants. La réalité de la frontière au cours de cette administration a changé la nature de notre travail, car les lieux où se trouvent les migrants ont changé. Nous devons constamment discerner où les besoins sont les plus grands et comment nous pouvons y répondre.

En plus de notre ministère sacramentel et pastoral, nous apportons également de l’aide humanitaire, comme des dons, en particulier pour des produits d’hygiène, des produits de nettoyage et des articles pour la cuisine. Pendant les mois froids, nous apportons des vêtements appropriés tels que des bonnets, des gants, des chaussettes chaudes et des sweat-shirts.

Nous nous engageons également dans des actions de plaidoyer au niveau national et local en faveur des migrants et de leurs besoins, y compris la réforme de l’immigration et le changement de politique.

En outre, nos efforts de communication nous aident à partager notre ministère et la réalité que nous rencontrons. Cela comprend une lettre d’information et un balado, le Jesuit Border Podcast. Nous donnons également des présentations lorsqu’on nous le demande et nous parlons aux journalistes lorsqu’ils s’informent sur ce qui se passe le long de la frontière.

Nous accueillons également les groupes qui viennent ici, dans la vallée du Rio Grande, pour écouter une présentation de notre part ou pour nous rejoindre dans notre ministère, si cela les intéresse.

Comme vous pouvez le constater, il s’agit là d’un grand nombre d’autres activités qui font partie de notre ministère ici à Del Camino. Le cœur de ce ministère est une équipe mobile de Jésuites qui visitent les camps de migrants et les abris pour la pastorale sacramentelle et l’accompagnement pastoral. Mais il y a bien d’autres couches et composantes au-delà de cela.

Le père Brian Strassburger, SJ, bénissant des migrants avec de l'eau bénite.

SJR Canada : Quelles sont les conditions de vie dans la région ?

Brian Strassburger, SJ : Les conditions de vie ne sont pas idéales, c’est le moins qu’on puisse dire, et elles varient selon les abris. Un exemple de bonnes conditions de logement est un endroit où il y a des rangées de lits superposés dans une grande pièce, ce qui permet de dormir dans un lit, avec un système de contrôle de la température qui permet d’allumer un radiateur par temps froid ou un climatiseur par temps chaud. Un bon centre d’hébergement donne trois repas par jour. Et vous avez accès à des salles de bains avec des toilettes à chasse d’eau et des douches.

Mais je dois aussi dire que même un bon centre d’hébergement peut manquer de personnel et que les migrants qui y séjournent doivent apporter leur contribution. Ils devront peut-être faire la cuisine, le ménage et l’entretien du refuge s’il manque de personnel. Un bon centre d’hébergement disposera probablement d’un personnel de sécurité, ainsi que d’une équipe de personnes qui l’aideront à le gérer, mais la plupart des activités quotidiennes doivent être prises en charge par les migrants eux-mêmes qui y séjournent.

Même les refuges les plus agréables peuvent ressembler à une prison, car les villes dans lesquelles ils se trouvent ne sont pas sûres et sont souvent surveillées par les cartels locaux pour kidnapper les migrants. Il est parfois dangereux de sortir pour aller faire des courses ou pour aller travailler si vous essayez de trouver un emploi temporaire pendant que vous êtes dans le refuge.

De plus, si vous êtes un couple marié, le mari et la femme sont séparés: les hommes sont dans le dortoir des hommes, la femme et les enfants sont dans le dortoir des femmes et des enfants. Une mère peut même partager le lit de ses enfants. Ce sont les meilleurs refuges que j’ai vus, donc même les meilleurs refuges ont leurs inconvénients.

Des abris à la frontière américano-mexicaine visités par des membres du SJR en Février 2025.

À quoi ressemblent les autres abris ? L’un des abris de notre région est un grand mur de béton construit autour de deux terrains de baseball. Il y a quelques casitas, ces petites maisons qui se résument à quatre murs en bois avec un toit en tôle, où l’on pose un matelas sur le sol et où les gens dorment et gardent leurs affaires. D’autres personnes dans ce refuge dorment dans des tentes, parce qu’il n’y a pas assez de place dans les casitas. Dans un tel abri, il n’est pas possible de régler la température lorsqu’il fait trop froid ou trop chaud. Cette exposition aux éléments peut être extrêmement inconfortable.

Dans un tel refuge, vous pouvez avoir un ou deux repas par jour. Là encore, il faut aider à cuisiner et à faire le ménage dans le refuge. En tant que migrant, vous avez probablement des toilettes portables. En outre, il faut parfois payer pour recharger son téléphone, car on n’a pas toujours accès à l’électricité pour le faire.

Dans les refuges comme celui-ci, ce qui dérange le plus les gens, c’est le temps, les insectes et les souris. Les rats et les souris se déchaînent dans ces abris, courant la nuit, à la recherche de nourriture et creusant des trous dans votre tente et vos effets personnels. Les insectes sont également omniprésents, qu’il s’agisse de mouches, lorsque vous essayez de manger un repas, ou de moustiques, qui sortent surtout après la pluie. Il n’y a pas moyen d’y échapper. Voilà ce qui préoccupe constamment les migrants qui vivent dans certains de ces abris.

SJR Canada : Jusqu’au changement de l’administration américaine, les migrants de cette région espéraient entrer légalement aux États-Unis. Ils utilisaient une application qui leur permettait d’obtenir un rendez-vous, et ils attendaient pendant des mois dans la région pour cela. C’était leur objectif. Pouvez-vous nous dire ce qu’ils espèrent maintenant ?

Brian Strassburger, SJ : Les deux dernières années de l’administration Biden, il existait une voie d’entrée légale pour les migrants passant par le Mexique. Il suffisait de télécharger une application de téléphone intelligent appelée CBP One, de créer un compte et de demander un rendez-vous quotidien. Lorsque vous obteniez un rendez-vous, vous pouviez entrer légalement aux États-Unis et bénéficier d’une liberté conditionnelle temporaire pour rester dans le pays.

Le 20 janvier, lorsque la nouvelle administration a pris le pouvoir, elle a fermé cette application et annulé tous les rendez-vous qui avaient été programmés à l’aide de l’application. Depuis lors, les migrants vulnérables et les demandeurs d’asile n’ont plus accès aux États-Unis. Un décret a déclaré que la frontière entre les États-Unis et le Mexique était envahie et que, pour cette raison, nous ne devions recevoir personne, même les personnes dont la demande d’asile est légitime. Telle est la réalité à laquelle nous sommes confrontés en ce moment.

Les migrants qui se trouvaient dans des centres d’hébergement lorsque l’administration a pris le pouvoir n’avaient plus que quatre possibilités à envisager.

La première option consiste à payer un passeur pour qu’il les aide à se faufiler aux États-Unis sans être détectés (ce faisant, ils seraient considérés sans documents aux États-Unis). Ce service coûte entre 12 000 et 15 000 dollars américains par personne. C’est extrêmement coûteux et ils n’ont droit qu’à une seule tentative. Si cela ne fonctionne pas [et qu’ils sont appréhendés par la police des frontières], ils peuvent être expulsés ou détenus. Et si cela fonctionne, dans le meilleur des cas, ils se retrouvent sans papiers aux États-Unis, où ils ne peuvent même pas obtenir de permis de travail ou de statut légal dans le pays. Ce n’est pas l’idéal. Très peu de gens peuvent se le permettre, ou même veulent essayer, et beaucoup de personnes que nous connaissons dans les refuges veulent faire les choses de la bonne manière.

La seconde option est de retourner dans son pays d’origine. Vous avez investi tout cet argent et vous avez élaboré ce plan. Vous avez peut-être de la famille qui vous attend aux États-Unis. Vous avez peut-être un emploi en vue. Mais soudain, vous n’avez plus aucun moyen légal de vous y rendre. Certaines personnes ont donc dû prendre la décision d’abandonner ce plan et de retourner dans leur pays d’origine, malgré tout ce qu’elles ont investi dans les décisions qu’elles ont prises et les situations qu’elles ont quittées et qui ont motivé leur voyage. Nous connaissons des personnes qui ont fait cela. Bien sûr, pour certains, ce n’est pas une option. Ils fuient pour sauver leur vie et ne peuvent donc pas retourner dans leur pays d’origine.

La frontière entre les États-Unis et le Mexique a été visitée par le personnel du SJR en février 2025.

La troisième option consiste à essayer de s’établir au Mexique pour le moment. Les gens cherchent à régulariser leur situation au Mexique. En d’autres termes, ils cherchent un travail, un logement et à inscrire leurs enfants à l’école. La plupart des personnes qui font cela déménagent dans les grandes villes du Mexique, comme Monterrey, Guadalajara ou Mexico, où les possibilités de travail sont plus nombreuses. Nous avons entendu des histoires de réussite de personnes qui ont trouvé un logement à louer à un prix abordable, qui ont trouvé un emploi et qui progressent. D’autres ont été frustrés. Ils n’arrivent pas à remplir leurs papiers. Elles n’arrivent pas à trouver du travail et restent donc dans une situation très vulnérable.

Pour certaines personnes, aucune de ces autres options n’est viable.

La quatrième option est qu’ils sont toujours dans des abris dans le nord du Mexique. Cela fait maintenant plus de trois mois que l’administration a changé, mais certaines personnes restent bloquées dans les abris. Il peut s’agir d’une mère célibataire qui s’occupe de jeunes enfants et qui ne peut pas aller travailler parce que ses enfants ne sont pas encore en âge d’aller à l’école. Il peut s’agir de familles qui ont été kidnappées à leur arrivée à la frontière et dont tous les documents ont été volés. Il s’agit peut-être de Vénézuéliens qui n’ont plus de documents vénézuéliens et qui ne peuvent donc même pas régulariser leur situation au Mexique sans documents attestant de leur identité. Et le consulat vénézuélien n’est pas le plus utile ni le plus rapide pour répondre aux demandes des Vénézuéliens.

Les personnes qui se trouvent dans cette situation sont dans une situation d’attente, essayant de voir s’il y a quelque chose qu’elles peuvent faire ou quelque chose qui change. Voilà donc les quatre options qui s’offrent aux migrants.

Où est leur espoir ? Je veux dire que leur espoir d’entrer aux États-Unis a été considérablement réduit.

Vous savez, des procès ont été intentés devant les tribunaux pour déclarer inconstitutionnelles certaines des politiques de cette administration. Cela pourrait entraîner des changements dans la politique frontalière. Mais cela pourrait prendre des mois, voire des années, avant que les tribunaux ne se prononcent. Ou, qui sait, l’administration verra-t-elle à quel point nous dépendons de la main-d’œuvre immigrée et changera-t-elle d’avis et de politique ? Cela semble hautement improbable, mais cette administration est connue pour changer radicalement de position politique. L’une ou l’autre de ces possibilités pourrait-elle apporter un peu d’espoir ?

Ce que je constate le plus souvent, c’est que les migrants ne placent pas leur espoir dans le président, les États-Unis ou la politique frontalière, ils placent leur espoir en Dieu.

Et c’est un espoir qui ne déçoit pas. Ils ont donc confiance dans le fait que tout cela a une raison. Dieu a un plan, et les choses vont s’arranger au temps de Dieu, même si ce n’est pas le temps que nous avions imaginé ou prévu pour nous-mêmes. Ce qui leur donne de la force, c’est leur foi.

Le ministère Del Camino avec les migrants à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

C’est pourquoi notre ministère des sacrements et notre accompagnement pastoral sont si fondamentaux, car la politique frontalière des États-Unis peut être cruelle et carrément injuste et créer de réelles souffrances. Mais nous avons un Dieu qui a souffert. Un Dieu qui est venu, a souffert et est mort pour nous sauver du péché et de la mort, et pour nous offrir le salut. Nous plaçons notre confiance dans le Seigneur, sachant qu’il y aura des souffrances dans cette vie et que beaucoup d’entre elles sont causées par la chute, par le péché humain, mais que le Seigneur marche avec nous même à travers nos souffrances et qu’il nous donne la grâce de continuer à aller de l’avant.

Restez à l’écoute pour la deuxième partie de cette série !